
Incubes et Succubes : les amants de l'ombre dans la tradition ésotérique
Peu de figures de l'imaginaire occulte fascinent autant que les incubes et les succubes. Mi-rêvées, mi-éprouvées, ces entités traversent les siècles, glissant des grimoires médiévaux aux confessions modernes de sorcières et d'initié·e·s. Mais qui sont-ils vraiment ? Et que symbolisent-ils pour les ésotéristes d'aujourd'hui ?
1. Une genèse médiévale entre démonologie et fantasme
Le terme incube vient du latin incubare , « s'allonger sur », et désigne un esprit mâle censé abuser d'une femme pendant son sommeil. À l'inverse, la succube — du latin succubare , « se coucher dessous » — est une entité féminine visitant les hommes la nuit, les séduisant dans un rêve, mais souvent perçue comme corrupteur.
Dans la tradition chrétienne médiévale, ces démons sexuels étaient utilisés pour justifier à la fois les pollutions nocturnes et les désirs préférés comme impurs. Thomas d'Aquin affirmait même qu'un même démon pouvait endosser les deux rôles : succube auprès des hommes, incube auprès des femmes, afin de récolter la semence et la transmettre. La peur des incubes et succubes devient alors une affaire de moral que de théologie.
2. L'ésotérisme moderne face aux entités érotiques
Mais si l'on s'éloigne de la vision chrétienne punitive, une lecture ésotérique plus raffinée apparaît. Dans de nombreuses traditions initiatiques, les entités dites « érotiques » ne sont pas nécessairement démoniaques. Elles représentent plutôt des forces archétypales, des manifestations énergétiques issues de l'inconscient, ou encore des formes-pensées nourries par le désir, la solitude ou le manque d'ancrage.
Le mage Éliphas Lévi évoquait déjà des entités astrales capables de se former à partir des passions humaines. L'incube ou le succube devient alors le reflet de nos propres projections, un miroir de l'ombre, que seule une conscience éclairée peut intégrer sans se perdre.
3. Éthique magique : pacte ou parasitage ?
La question centrale pour tout praticien contemporain est celle de l'éthique. Travailler avec une entité érotique, que ce soit dans un mais magique ou psychique, nécessite un haut degré de maîtrise. Car si l'on ouvre certaines portes dans l'astral, il faut savoir les refermer.
Dans certains courants de la magie sexuelle, ces entités sont impliquées sciemment, parfois même nourries par des offrandes ou des pratiques ritualisées. Dans d'autres traditions, comme le tantrisme noir ou la magie du chaos, on explore les rapports avec ces entités pour en tirer puissance ou connaissance. Mais toujours avec prudence : ce qui est appelé n'est pas toujours ce qui répond.
Il est essentiel de faire la différence entre invocation, égrégore, entité libre et parasitage. Trop souvent, un simple trouble du sommeil ou une suractivité psychique nocturne est interprété comme une visite. Or, une initiation mal cadrée peut ouvrir la voie à un vampirisme énergétique sournois, où l'opérateur devient esclave de ce qu'il croit dominateur.
4. Incube et succube comme figures alchimiques
On peut aussi lire les incubes et succubes à travers le prisme alchimique : comme la rencontre des principes masculin et féminin dans l'œuvre au noir. L'union avec l'autre — tantôt terrifiante, tantôt extatique — n'est rien d'autre qu'un appel à transformer la matière brute de la psyché en conscience.
La succube devient alors Lilith : non plus démon, mais souveraine de l'ombre, capable d'initier. L'incube devient l'Amant caché : le feu secret qui réveille la kundalini.
5. Conclusion : l'amant spectral comme épreuve initiatique
Au fond, les incubes et succubes ne sont ni bons ni mauvais. Ils sont des révélateurs. Et celui qui s'en approche doit être prêt à y rencontrer ses propres pulsions, sa solitude, ses blessures et ses désirs enfouis. Ce ne sont pas des amants de chaise, mais des reflets subtils. Travailler avec eux, c'est marcher sur un fil tendu entre extase et perte de soi.
L'élite magique ne craint pas l'obscur, elle le traverse. À condition de ne pas y être plus sombre.